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La série Levy & Campaign de GMT Games : une modélisation réussie des guerres médiévales

Sommaire

Introduction

La guerre médiévale a longtemps représenté un casse-tête pour les concepteurs de jeux d’histoire souhaitant dépasser l’échelle de la seule bataille, abondamment simulée par des jeux comme Men of Iron, les séries Cry Havoc et Au fil de l’épée ou encore Great Battles of History. Sans entrer dans des considérations historiques qui dépasseraient le cadre de ce seul article, les guerres médiévales (notion englobant plus de 1 000 ans !) différaient en effet significativement des conflits antiques ou modernes.

L’engagement des seigneurs féodaux sous la bannière de leur suzerain ne tenait en effet pas de l’évidence et était souvent âprement négocié jusque dans des détails extrêmement pointilleux comme la rémunération de potentielles « journées supplémentaires », ou encore les théâtres géographiques sur lesquels les seigneurs acceptaient de combattre, sans parler du nombre d’écuyers par lance, la quantité de fourrage à prévoir… Ces considérations logistiques et l’importance cruciale des relations interpersonnelles dans le cadre de la société féodale sont très difficiles à simuler sans se perdre dans un dédale de règles optionnelles (« Tel seigneur peut se battre ici, mais pas là, à moins de lui verser la somme X ») ou à créer une surcouche politique lourde (comment simuler les ambitions et animosités de multiples vassaux sans perdre les joueurs ?).

Face à ce défi, les designers ont souvent opté pour deux solutions :

Simplifier volontairement le fonctionnement de la guerre médiévale, quitte à la « moderniser ». Warriors of God de Tetsuya Nakamura chez MMP propose ainsi aux joueurs de s’affronter lors des conflits franco-anglais du Bas Moyen-Âge en adoptant une approche volontairement chaotique privilégiant la facilité d’apprentissage sur le réalisme historique ;
Se concentrer sur des conflits atypiques de la période moins marqués par les considérations évoquées ci-dessous. Ceci explique notamment la grande popularité des jeux sur les croisades, où l’état de guerre quasi-permanent obligeait au maintien d’embryons d’armées permanentes. Le Kingdom of Heaven de Scott Debrestian chez MMP en est une bonne illustration.

 

Ce défi complexe de simuler la guerre médiévale à une échelle opérationnelle/stratégique ne pouvait être relevé que par un designer de talent. Volko Ruhnke, designer de classiques comme Labyrinth : the War on Terror (GMT) et créateur de la légendaire série COIN, s’est donc attelé à la tâche, créant le système Levy & Campaign (L&C), avec pour but affiché d’embrasser les spécificités de la guerre médiévale et de les restituer dans une expérience de jeu plaisante.

 

Les grandes lignes de la série

La série L&C naît donc en 2019 avec la publication par GMT Games de Nevsky: Teutons and Rus in Collision 1240-1242. Le jeu choisit un sujet atypique en abordant le conflit opposant les principautés russes liguées autour de Novgorod aux Chevaliers teutoniques et leurs alliés, immortalisé par le film Alexandre Nevsky de Sergueï Eisenstein. Comme tout opus fondateur d’une série, le jeu va poser les bases de la série. Sur le plan du matériel tout d’abord : 

Un matériel de grande qualité avec le recours aux pions en bois plutôt qu’aux habituels pions en carton ;
Une carte de jeu plutôt réduite avec des localités connectées par des chemins de diverses natures et avec un style graphique léché renvoyant au lieu et à l’époque choisie ;

La présence d’un calendrier saisonnier qui va se trouver au cœur du jeu : celui-ci va permettre de suivre la durée d’engagement restante des différents seigneurs mobilisés sur le terrain, comptée par tranche de 40 jours (qui constituait un référentiel fréquemment utilisé à l’époque féodale).

 

Levy & Campaign (GMT)
Les jeux de la série L&C se caractérisent par une direction artistique remarquable et cohérente
avec l’époque et le lieu du jeu. On retrouve ici les principaux composants du jeu, la carte et le
calendrier de jeu, les plateaux de seigneurs avec leurs troupes (pions en bois) et vassaux
(pions rectangulaires en cartons) et enfin les cartes d’art de la guerre, à double emploi
(évènement et capacité permanente)

Sur le plan de la jouabilité, plusieurs éléments ressortent nettement :

  1. L’accent mis sur la gestion de la logistique afin de s’assurer de l’approvisionnement de ses troupes, qui constituait un souci constant à l’époque médiévale. Le joueur négligent sur ce plan verra rapidement ses seigneurs plier bagage sans demander leur reste.

  2. La rareté des batailles, celles-ci constituant pour les deux joueurs des entreprises risquées. En effet les joueurs peuvent y utiliser des cartes donnant des bonus temporaires susceptibles de changer le cours de la bataille. Toute défaite pouvant entraîner le retrait d’un ou plusieurs seigneurs, les joueurs ne s’y engageront souvent qu’à contrecœur. Là encore Volko Ruhnke restitue parfaitement cette caractéristique si souvent oubliée des guerres médiévales : les batailles y sont fort rares et les rois et seigneurs y répugnent souvent.

  3. La difficulté des sièges sur une place forte correctement défendue et le caractère extrêmement coûteux des assauts.

Une fois ces principes posés, comment le jeu se déroule-t-il concrètement ? Le jeu se déroule par tours de jeu représentant 40 jours. Un tour se décompose en deux phases qui ont donné à la série de jeux son nom :

  1. La phase de Levée (Levy) où les joueurs vont essayer de prolonger la durée d’engagement de leurs seigneurs sur le terrain en les payant ou en leur donnant du butin. Les seigneurs ayant atteint ou dépassé la durée de leur engagement vont ensuite se disperser et quitter la carte du jeu. Enfin les joueurs vont tenter d’appeler sous leurs bannières de nouveaux seigneurs avec leurs troupes. Ceux-ci rejoignent la carte du jeu et seront à disposition du joueur pour un certain nombre de tours.

  2. La phase de Campagne (Campaign) où les joueurs vont planifier l’activation de leurs troupes en constituant un deck de cartes avec les symboles des différents seigneurs sur le terrain (deux cartes par seigneur). Les joueurs vont ensuite dévoiler ces cartes chacun leur tour, activant les seigneurs représentés. Ceux-ci pourront alors se déplacer, assiéger une ville, piller la campagne, mener bataille, s’approvisionner… Évidemment, l’évolution de la situation risque fort d’invalider votre deck tel qu'initialement constitué, et vous vous maudirez d’avoir fait appel à ce seigneur dont vous avez désormais grand besoin pour voler au secours d’une ville assiégée, mais que vous avez déjà activé deux fois !

Levy & Campaign (GMT)
Un exemple de bataille tiré de Nevsky. Les troupes de Novgorod (haut) sont plus nombreuses,
mais de moins bonne qualité que les troupes teutoniques (brun < noir <gris). De meilleures troupes
auront une plus grande chance d’annuler les dégâts reçus et infligeront égalementplus de dégâts.
Noter qu’en cas de bataille opposant plus de deux seigneurs une notion de centre et d’ailes
sera à prendre en compte, comme matérialisé sur le plateau de bataille au centre.


Cette structure est simple à intégrer, mais recèle de nombreuses subtilités que le joueur devra bien maîtriser afin de s’assurer que ses troupes resteront bien approvisionnées en territoire ennemi, défi qui devient de plus en plus difficile à mesure que le territoire ennemi est ravagé et que l’on s’enfonce dans celui-ci.

Le but ultime des joueurs va alors être, classiquement, de ravager le territoire ennemi et, si possible, de se rendre maître de places fortes ennemies, les plus grandes cités et forteresses rapportant bien sûr davantage de points de victoire que les modestes bourgs et fortins. Le joueur perd aussi dès lors qu’il n’a plus aucun seigneur sur le terrain, un risque parfois bien plus réel que l’enlèvement de ses plus solides places fortes !

 

Un public rapidement trouvé

La première grande force de la série L&C est, on l’a vu ci-dessus, de modéliser de façon crédible et ludique les spécificités de la guerre médiévale à l’âge féodal. Ce design réussi est à ce titre venu combler un besoin resté longtemps insatisfait. La parution de Nevsky a donc eu l’effet d’un déclic dans le petit monde des joueurs et designers de jeux d’histoire, entraînant depuis de nombreuses vagues de jeux estampillés « L&C ».

Quatre jeux sont sortis depuis 2019 et quatre autres sont déjà en cours de production par GMT Games, qui garde la main sur le concept L&C. Mais pas moins de 24 autres concepts de jeu sont listés sur le Discord officiel de la série, avec différents stades d’avancement !

Levy & Campaign (GMT)


Chacun des jeux parus apporte des ajustements à la série tout en gardant le déroulé global du jeu tel que posé dans Nevsky. Ainsi :

Almoravid: Reconquista and Riposte in Spain 1085-1086 (2022) simule un épisode crucial de la Reconquista espagnole qui vit la prise de Tolède par les forces de Castille et du Léon au XIe siècle. Le jeu introduit une surcouche politique afin de modéliser le fractionnement politique des états musulmans du Sud de l’Espagne au XIe siècle. Le jeu simplifie également la gestion logistique, les contraintes géographiques et climatiques de l’Espagne n’étant pas celles de la Baltique.

Inferno: Guelphs and Ghibellines Vie for Tuscany, 1259-1261 (2023) s’attaque quant à lui à la guerre fratricide qui opposa Guelfes et Gibelins en Toscane, conflit qui inspira grandement à Dante La Divine Comédie. Le jeu innove en donnant aux joueurs la possibilité de faire basculer des cités du camp adverse par un mécanisme de trahison où l’argent joue un rôle crucial. La logistique est, ici aussi, plus simple.

Plantagenet: Cousins’ War for England, 1459 – 1485 (2023) porte sur la Guerre des Deux Roses entre York et Lancastre. Le jeu voit le système L&C remanié plus en profondeur afin de matérialiser les changements intervenus dans l’art de la guerre depuis les XIe – XIIIe siècles. Les sièges disparaissent et la victoire n’est plus déterminée par la capacité à ravager ou contrôler le territoire adverse.

 

Les perspectives de la série

Listons d’abord rapidement les projets en prépublication par GMT Games :

Henry: The Agincourt Campaign, 1415 devrait paraître d’ici peu. Le jeu se veut plus simple d’approche et plus rapide à jouer que ses prédécesseurs, simulant la chevauchée d’Henry V ayant mené à la fatidique bataille d’Azincourt en 1415.

Seljuk: Byzantium Besieged, 1068-1071 est également bien avancé. Le jeu portera sur les raids des Turcs seldjoukides d’Alp Arslan en Asie Mineure byzantine et sur les campagnes menées en réponse par l’empereur Romain IV Diogène, menant à la bataille de Manzikert en 1071. Les deux forces en présence seront plus asymétriques dans leur comportement au combat et dans leurs objectifs de campagne.

Žižka: Reformation and Crusade in Hussite Bohemia, 1420-1421
est encore en cours de développement et abordera les méconnues croisades contre les hussites, essentielles dans le récit national tchèque. Celles-ci virent s’opposer les forces hussites du légendaire Jan Žižka aux troupes croisées menées par Sigismond de Luxembourg, roi des Romains et de Bohême et futur empereur. Le conflit militaire se doublera ici d’un conflit religieux que les deux joueurs devront gérer.

Epipolae: The Athenian Expedition in Sicily, 415-413 BCE
constitue une première rupture puisque le système L&C se voit désormais transposé à une autre époque, durant l’Antiquité. Les joueurs revivront l’expédition athénienne pensée par Alcibiade afin de mettre la Sicile sous la coupe athénienne. Le jeu, encore en développement, devrait être le premier à inclure un volet naval et mettra aussi l’accent sur la diplomatie.


On voit donc que la série L&C continue de s’étendre dans le temps et dans l’espace, embrassant une variété sans cesse plus grande de conflits et théâtres géographiques. Avec autant de projets en cours, il semble illusoire d’imaginer que tous les jeux s’articuleront autour d’un tronc de règles commun, sur le modèle des séries SCS/BCS/OCS de MMP par exemple.

Si l’on a bien entendu confiance dans le travail de supervision que Volko Ruhnke et les équipes de développement continuent d’assurer, le foisonnement des projets rappelle aussi deux dangers liés lorsqu’un système rencontre un succès aussi large et soudain :

     - Celui de vouloir faire coller à tout prix son sujet de prédilection au système, quitte à ne pas penser un système plus adapté au conflit en question ;
     - Celui de vouloir faire porter au système plus qu’il ne peut en soutenir en multipliant les règles particulières, sous-systèmes politiques, diplomatiques ou militaires…

Ces hypothétiques dangers n’enlèvent rien à la qualité, bien réelle elle, des quatre jeux déjà parus dans la série, et qui permettent aux joueurs de revivre – enfin serait-on tenté de dire – les dilemmes et contraintes logistiques auxquels les seigneurs et rois de l’âge féodal durent se confronter.

 

Liens et références

Le lien vers le (très actif) Discord dédié à la série.

Les versions françaises des règles des jeux parus sont disponibles chez Ludistratège.

Pour l’apprentissage de la série, et plus particulièrement de l’opus Nevsky, nous vous conseillons la remarquable série de vidéos par Jean-Michel Grosjeu

En lecture, l’excellent La guerre au Moyen-Âge de Philippe Contamine et l’incontournable Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214 de Georges Duby.

 

Fiche technique

Auteurs : Volko Ruhnke, Joe Schmidt, Francisco Gradaille et al.
Éditeur : GMT Games
Pour 1 à 2 joueurs de 14 ans et plus
Categories: Wargame
Passionné d'histoire depuis ma petite enfance, j'ai redécouvert le jeu de société en déterrant un vieux Carcassonne à l'occasion du premier confinement. Le lien avec l'histoire a été vite fait et ma collection a depuis crû à vitesse grand V, ciblant toutes les époques et toutes les échelles, avec tout de même une préférence pour l'opérationnel médiéval et les jeux se déroulant ou incluant le Japon.

Quelques favoris: Sekigahara, Men of Iron Tripack, Empire of the Sun et Triumph & Tragedy