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Voyage ludique dans le temps #1 : la Renaissance

Sommaire

Introduction

L'époque de la transition entre Bas Moyen-Âge et l’époque moderne constitue une période fascinante et riche en évènements historiques majeurs en Europe : la Réforme, la montée en puissance de l’Empire ottoman, la découverte pour les Européens des Amériques, la redécouverte de textes antiques et l’affirmation d’États de plus en plus centralisés. Si la plupart des historiens s’accordent aujourd’hui à voir dans la « Renaissance » une fiction en tant que période historique, celle-ci n’en a pas moins inspiré nombre de jeux, qu’il s’agisse d’eurogames ou de jeux d’histoire.

Penchons-nous donc sur deux jeux dont le grand mérite est de nous faire voyager dans le temps et de nous apprendre énormément de faits méconnus sur cette période pourtant abondamment représentée par le biais de films, séries, bandes dessinées… J’ai nommé Pax Renaissance de Phil et Matt Eklund et Here I Stand (HIS) d’Ed Beach.

Le but de cet article n’est pas d’offrir une comparaison pied à pied de deux jeux très différents, mais plutôt de vous offrir un aperçu de la façon dont ils nous font voyager dans le temps et l’espace dans l’Europe du XVIe siècle

 

Un voyage en cartes

Les deux jeux ont pour point commun de se dérouler sur une carte de l’Europe découpée en royaumes. Les joueurs retrouveront ainsi les principales puissances du début du XVIe siècle : Angleterre, France, Espagne, Saint Empire mais aussi Hongrie, Empire ottoman… Pax Renaissance embrasse toutefois un champ légèrement plus large en incluant les Mamelouks égyptiens et l’empire de Trébizonde, dernière survivance du défunt empire byzantin, là où la carte de Here I Stand s’arrête à Constantinople. 

Voyage Ludique 1 - Renaissance a 

Voyage Ludique 1 - Renaissance b
 

Les deux cartes et leur différence d'approche


On notera au passage une certaine déformation de la géographie dans le jeu de Phil et Matt Eklund, avec l’intégration notamment de Novgorod, Tombouctou et les îles aux Épices dans la carte. Ces lieux sont présents, car liés au mécanisme de commerce, essentiel dans le jeu. Ainsi ils rappellent que l’Europe d’alors faisait partie de réseaux commerciaux globaux allant de l’Afrique subsaharienne aux steppes de Russie.

Here I Stand, quant à lui, dispose d’une carte « point-à-point », c’est-à dire une carte composée de plus d’une centaine de lieux reliés par des voies de communication terrestres et/ou maritimes. Tous ces lieux ne sont pas égaux :

● les espaces carrés, dits « clés », sont les plus importants dans le jeu, et les plus durs à capturer.
● les espaces en étoile sont des forteresses, difficiles à capturer également mais moins significatives pour la victoire ;
● les espaces hexagonaux sont des électorats, lieux de pouvoir au sein du Saint Empire.
● les espaces ronds enfin sont des villes de moindre importance, plus simples à capturer.


Lire la carte d’Here I Stand, c’est donc avoir devant soi une représentation des équilibres économiques et politiques de l’Europe en 1517, date de début de la partie. On y retrouve de nombreux lieux associés à des épisodes forts de la période : Pavie et la désastreuse défaite française de 1525 bien sûr, mais aussi Wittenberg où Luther placarda ses 95 thèses en 1517, Metz assiégée en vain par un Charles Quint perclus de goutte en 1552, ou encore Rhodes, vaillamment défendue par les chevaliers de Saint Jean en 1522.

 

Un voyage par les cartes

Pax Renaissance et Here I Stand sont tous deux mus par les cartes à jouer (card-driven) dans la mesure où celles-ci seront essentielles à la victoire. Mais au-delà de leur rôle dans le jeu, elles jouent également un rôle pédagogique dans la mesure où elles évoquent des personnages et évènements majeurs de l’époque. Les joueurs pourront, en les jouant, déclencher leur évènement et revivre un moment marquant de l’époque. Côté Here I Stand on retrouve par exemple l’affaire des placards qui poussa François Ier à renforcer la répression de la Réforme, alors en expansion en France. Les cartes des deux jeux sont également illustrées par des tableaux et gravures, le plus souvent contemporains, facilitant ainsi l’immersion du joueur.

À ce petit jeu de l’évocation d’évènements historiques, Pax Renaissance a assurément le dessus. Le jeu dispose en effet de 168 cartes (contre 116 pour Here I Stand) et surtout chaque carte est agrémentée en son centre d’un texte explicatif sur le personnage ou l’évènement joué. Le jeu se déroule par ailleurs sur une plus longue période (environ 1440 à 1530) et sur une plus grande zone. Le joueur français découvrira ainsi de nombreux évènements historiques d’Europe de l’Est et du Moyen-Orient peu couramment traités. On pense par exemple à la figure de Gracia Mendes Nasi, riche femme juive portugaise ayant fui les persécutions antisémites et aidé de nombreux juifs à fuir vers des États plus tolérants. Étienne le Grand, voïvode de Moldavie ayant défendu avec succès sa principauté contre de puissants voisins à la fin du XVe  siècle, est également une de ces figures méconnues présentes dans le jeu.

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Quelques cartes de Pax Renaissance

Il est intéressant de voir que Pax Renaissance et Here I Stand n’ont pas tout à fait choisi les mêmes types d’évènement à raconter à travers leurs cartes. En effet si le premier s’attarde principalement sur les grands personnages et évènements de la période, dans une lecture « d’en haut » de l’histoire, le second porte davantage sur des évènements récurrents et qui (pré)occupaient le plus souvent les souverains de l’époque. Un des exemples les plus évidents de ce dernier cas de figure est la carte « Mercenaries grow restless » qui voit les mercenaires d’une armée prendre la poudre d’escampette avant une bataille, un mal récurrent pour les souverains de l’époque.

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Et quelques cartes de HIS

Si cette différence entre les deux jeux puise en partie ses racines dans le gameplay du jeu et les fonctions attribuées aux cartes, il est également intéressant de voir les visions de l’histoire que celles-ci font émerger.

 

Somme nulle ou intérêts partagés ?

Car il faut bien conclure que les deux jeux portent un regard bien différent sur ce XVe siècle finissant et XVIe siècle naissant. Cela se voit d’emblée dans les personnages que les joueurs incarnent :

● les joueurs de Pax incarnent de grandes dynasties de banquiers accordant crédit et soutien aux différents souverains de l’époque, faisant et défaisant les puissances ;
● les joueurs de HIS incarnent les grands souverains ou meneurs de l’époque : Soliman, Luther, les papes…


Il est ainsi intéressant de voir que le joueur sera d’un côté un marionnettiste façonnant l’histoire non pas pour faire triompher une nation ou une cause, mais pour avoir le plus d’influence sur les puissances politiques, religieuses et économiques de l’époque après les avoir guidées, orientées, voire trahies en sous-main. Pax Renaissance renvoie donc l’image d’un jeu politique et économique à somme nulle où il faut manœuvrer plus habilement que l’autre pour l’évincer.

Dans HIS inversement, le joueur est acteur de son propre destin dans un environnement incertain. Mais, loin d’être un démiurge, il est au contraire souvent renvoyé aux limites du temps et des moyens à sa disposition, matérialisées par le nombre de cartes qu’il a en main pour un tour.

Voyage ludique Renaissance f 

Deux visions de Jacob Fugger :
marionnettiste dans un jeu,
simple agent de l’histoire dans l’autre…


Alors que les actions résolues sur le plateau de Pax Renaissance le sont de façon déterministe, toute entreprise d’envergure dans Here I Stand est nimbée d’incertitudes : un autre joueur va-t-il faire déserter mes mercenaires ? Ma flotte va-t-elle être interceptée par l’ennemi ? Charles Quint va-t-il subir une crise de goutte et rester cloué sur place ? Les joueurs de HIS sont donc souvent renvoyés à la diplomatie, indispensable pour tenter de dissiper le brouillard de guerre permanent dans lequel ils se meuvent ; inutile de dire qu’à six joueurs la menace ne fonctionne que rarement. Les joueurs se muent alors en diplomates aguerris tentant de masquer leurs intentions derrière un « intérêt commun » souvent inégalement partagé et à la définition variable.

En ce sens Here I Stand permet aux joueurs de vivre une évolution marquante de la période : la multiplication des rencontres de dirigeants en face à face. Le XVe siècle était marqué par une forte méfiance réciproque, nourrie par le meurtre de Jean sans Peur lors de l’entrevue de Montereau, l’exécution de Pierre le Cruel en Castille ou encore la mort sur le bûcher de Jan Hus : il ne faisait pas bon d’être prisonnier de son adversaire ou de consentir à des rencontres diplomatiques risquées. Cette perspective change du tout au tout au XVIe siècle, qui vit alors se développer un véritable ballet diplomatique : Charles Quint a ainsi rencontré personnellement François Ier, Henry VIII et les différents papes à plusieurs reprises.

Les deux jeux renvoient donc à deux visions bien distinctes des relations internationales à l’aune de la théorie des jeux : si Pax transmet une vision à somme nulle, y compris à plus de deux joueurs, Here I Stand s’insère dans une vision des relations internationales comme jeu potentiellement à somme non-nulle.

 

Conclusion

Pax Renaissance et Here I Stand proposent donc aux joueurs de vivre l’époque troublée de la Renaissance de deux façons bien différentes et même complémentaires. Si les deux jeux ont une courbe d’apprentissage initiale relativement élevée, il faut toutefois reconnaître que le jeu de Phil et Matt Eklund est souvent plus simple à sortir par le nombre de joueurs (2 à 4) et la durée des parties (1h30 maximum pour des joueurs expérimentés), là où le jeu d’Ed Beach brille avant tout avec 6 joueurs. Au-delà de ces différences, l’objectif propre à tout jeu d’histoire est atteint : les joueurs sont placés dans la peau de personnages de l’époque et confrontés aux mêmes dilemmes que ceux-ci.

 

Quelques jeux sur la période (liste non exhaustive)... 

●  Virtu


... et quelques supports d’apprentissage.


La série de vidéos de Jean-Michel Grosjeu pour apprendre Here I Stand étape par étape :



Une très bonne vidéo en français pour apprendre à jouer à Pax Renaissance




                   Fiche technique :

Pax Renaissance
Auteur : Phil et Matt Eklund
Éditeur : Ion Game Design
Pour 1 à 4 joueurs, de 12 ans et plus
Durée usuelle d'une partie : de une à deux heures.

 

Here I Stand
Auteur : Ed Beach
Éditeur : GMT Games
Pour 2 à 6 joueurs, de 14 ans et plus
Durée usuelle d'une partie : de trois heures à huit heures.
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Passionné d'histoire depuis ma petite enfance, j'ai redécouvert le jeu de société en déterrant un vieux Carcassonne à l'occasion du premier confinement. Le lien avec l'histoire a été vite fait et ma collection a depuis crû à vitesse grand V, ciblant toutes les époques et toutes les échelles, avec tout de même une préférence pour l'opérationnel médiéval et les jeux se déroulant ou incluant le Japon.

Quelques favoris: Sekigahara, Men of Iron Tripack, Empire of the Sun et Triumph & Tragedy